APPEL À PUBLICATION CONNEXIONS 121 – 2024/2 ENJEUX ET DEVENIR DES GROUPES À DISTANCE

APPEL À PUBLICATION
CONNEXIONS 121 – 2024/2
ENJEUX ET DEVENIR DES GROUPES À DISTANCE
Coordination : Christophe Bittolo et Anastasia Toliou

Accéléré par la crise Covid et ses impératifs de confinement, les groupes à distance sont devenus en quelques années une pratique ordinaire et banale. Les réunions en visiophonie dans des contextes professionnels variés (travail d’équipe, groupe de travail, formation, supervision…) se sont multipliées par économie de temps, par commodité, tout en permettant de réunir des collègues jusque-là peu ou difficilement accessibles.
De même, certains dispositifs thérapeutiques souhaitant maintenir une continuité des prises en charge ont réaménagé certains éléments du cadre en y intégrant, en totalité ou partiellement, un travail à distance. Comme de nombreuses pratiques en institution, le sens de ces changements liés au confinement se perd, alors que les bénéfices trouvés confortent leur caractère institué et sans qu’un questionnement et qu’une réflexion approfondie quant à leur impact aient été réellement posés. L’«hybride » a ainsi fait son apparition renversant l’unité de lieu de l’expérience du groupe réuni en présence. Avec des résultats contrastés, modulés par la qualité des moyens techniques, l’autorisation à s’absenter physiquement a pu ouvrir, dans les petits groupes, des lignes conflictuelles entre ceux faisant l’effort du déplacement et ceux en faisant l’économie. Par ailleurs, certains colloques et séminaires connaissent un succès inégalé en proposant ces deux modalités de participation.

Ces transformations à marche forcée, tantôt souhaitées, tantôt subies, ainsi que ce qu’elles permettent de nouveau comme ce qu’elles dégradent par ailleurs ne sont pas sans conséquence sur le travail de pensée, de lien et sur l’ensemble des processus groupaux que l’on peut connaître des groupes exclusivement « en présence ». Si elles reprennent le fil d’évolutions plus anciennes comme l’usage du téléphone, elles s’inscrivent aussi dans l’extension généralisée des technologies numériques et d’une groupalité potentiellement virtuelle (réseaux sociaux, plate-forme…). Nous souhaitons, dans ce numéro, centrer notre réflexion sur les dispositifs de groupe proposant un espace et un temps spécifiques « à distance ». Ces dispositifs, dont la taille peut être variable, allant du petit groupe de quelques personnes à de très grands groupes (plus de 100), font usage des écrans dans des combinaisons variées du vu et de l’entendu et sont conduits, coordonnés et/ou animés par une ou plusieurs personnes. Alors que les descriptions techniques et objectives de ces dispositifs sont assez aisées, ce qu’ils autorisent, provoquent, produisent psychiquement et relationnellement n’est pas aisé à identifier. Et l’expérience de ces toutes dernières années nous permet aujourd’hui d’interroger plus rigoureusement la clinique qui s’y déploie.
Les groupes à distance proposent une modalité de communication dans laquelle la présence du corps est ambiguë. Si les personnes ne sont pas physiquement présentes dans un même espace les réunissant, elles sont pour autant corporellement présentes et l’ensemble des registres de communication non verbale, si importants dans les groupes en présence, se retrouvent configurés autrement. La prégnance d’une vue partielle ou l’écoute séquencée font obstacle à une perception unifiée du groupe comme ensemble. Où passent le brouhaha, l’ambiance et les odeurs qui composent la perception de ce qui fait groupe ? Quels effets ces modalités particulières de présence à distance ont-elles sur la transmission psychique, que celle-ci relève du normal ou du pathologique ? Peut-on parler d’effets de non-présence (D. Guiche) ou d’effet de présence (O. Avron) d’un genre particulier, un « effet de présence 2.0 » ? Existe-t-il des effets dissociatifs ou désintégratifs de l’unité psychocorporelle dans cette présence au groupe si fragmentée ?
Force est de constater que les particularités de la circulation énergétique et rythmique, de l’émotionnalité groupale interrogent les modalités de régulation de l’excitation et de la grégarité, entre des effets de désinhibition, de nombreuses fois constatés, qui appelleraient des liaisons, des expressions ou des décharges inédites, et des formes de retrait total ou partiel, souvent illustrées par un quant-à-chez-soi bien observable. Dans ce sens, on peut se demander si ces effets contrastés d’inhibition/désinhibition n’ont pas participé à une perte des fonctions de contenance (Bion) dans lesquelles la présence physique a son importance. Des formes de verbalisation inédites ne viendraient-elles pas compenser cette perte ? Une verbalisation de ce qui ne se voit pas ou ne se sent pas à l’écran trouverait sa place dans une expression qui serait peut-être restée silencieuse en présence. Que penser, en outre, de ces paroles et ces pensées intimes entendues dans des « visio » de plus de cent personnes, pour la plupart inconnues entre elles, ou dans ces réunions internationales que le présentiel n’aurait jamais permises ? Qu’en est-il de l’écoute et du traitement des processus transférentiels, interférents (Corre, Bittolo), des résonances pathologiques (Pinel) et des processus d’emboîtement (Bittolo) dans un tel contexte ? Appellent-ils un changement de vertex ou de nouveaux concepts pour penser ce qui s’y passe ?
Le champ ouvert par le distanciel et les conditions dans lesquelles des espaces de lien, de coopération et d’élaboration peuvent être développés interrogent également la conception et la conduite de ces dispositifs. Si de nombreux aspects techniques et méthodologiques méritent d’être précisés à mesure que l’expérience enrichit nos représentations des possibles, un jeu nouveau, par exemple, dans les rapports entre très grands groupes et petits groupes a pu voir le jour. De même, les alternances présence/distance font maintenant partie du cadre de certains dispositifs. Ces nouveautés pourraient élargir des formes de transitionnalité, un peu comme de nouveaux terrains de jeu à définir. Mais il existe en même temps des réalités et des contraintes très diverses selon les champs d’activité (formation, soin, travail d’équipe…). La conduite de ces dispositifs est ainsi différente de celle des groupes en présence, induisant la nécessité d’un type d’intervention encore méconnu. Quels aménagements du dispositif et de la conduite sont-ils souhaitables et qu’en attend-on ? Quelles illusions fausses ou fécondes portent-ils ? Quels effets peut-on constater sur les systèmes organisés et les dynamiques institutionnelles ? Quel dispositif peut articuler l’alternance entre travail à distance et en présentiel ? Autant d’enjeux relevés par la groupalité à distance qui méritent d’être approfondis.
Le comité de rédaction attend vos propositions de contribution, à adresser à revue-connexions@orange.fr, avant le 30 avril 2024.

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Décès de Jean-Pierre Pinel

Les associations, la FAPAG, Apsylien, ARIP, SFTFP, SFPPG,
les revues Dialogue, Connexions, RPPG
les Laboratoires UTRPP-Paris 13, CRPPC -Lyon 2,
ses collègues et amis sont bouleversés :
Jean-Pierre Pinel est décédé le vendredi 30 septembre.
Solide clinicien, analyste de groupe, professeur émérite et penseur de la clinique
institutionnelle, il était engagé, authentique et profondément humain.
Ils adressent leurs sincères condoléances à sa famille, ses enfants, sa compagne et ses
proches

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